Interview par Christof Graf, Frankfurt, 2 décembre 1992
Introduction : Avec un regard chargé d’avenir et venant du passé
Texte de CHRISTOF GRAF, un article du livre: Leonard Cohen – Un Hommage – Editions Phi, Luxembourg, 1997.
Il est l’un des rares compositeurs qui orientent leur créativité, non pas vers ce qui est à la mode, mais bien vers ce qui est en eux-mêmes. Autrefois, Cohen était considéré, comme l’un des poètes ayant donné, de grandes espérances à la génération du flower-power et de nos jours, il est devenu le symbole d’une époque qui se renouvelle sans cesse. Il y a quatre ans, il a prouvé qu’il était resté I’m your man, et aujourd’hui, il relance ce défi en intitulant son nouvel album The Future. Si l’on se met à écouter „ce document amusant de notre indisposition culturelle actuelle“, on se rend compte qu’il y manque surtout cette mélancolie d’habitude si caractéristique. Et même s’il v a toujours ces chants récitatifs un peu graves et léthargiques évoluant des valses lentes ou même des thés-dansants, par lesquels il tente de s’exprimer de façon poétique, il faut lui rendre grâce de ne plus trop forcer sur le pessimisme. „Voilà ce que j’apprécie tout particulièrement à l’époque actuelle; nous continuons à vivre comme si de rien n’était – et ceci malgré nos échecs apparents – parce que nous savons que nous sommes incapables de changer quoi que ce soit à notre situation désastreuse“. Donne-moi du crack et donne-moi du sexe anal, Rends-moi le Mur de Berlin.
Voilà le bilan prometteur pour l’avenir, bilan que Cohen dresse à partir du passé. Mais ce poète et chanteur canadien ne se veut le porte-parole ni d’une solution politique, ni d’un quelconque message. Bien au contraire, il faut se rendre à l’évidence que cet homme, longtemps énormément apprécié par beaucoup de femmes, prête toujours „un pouvoir salutaire à l’amour, comme le prouvent des chansons comme Light As The Breeze. C’est une de celles que l’on peut mettre parmi les Songs of love and hate de Cohen.
Les citations qu’utilise Cohen sont toujours bien choisies, qu’il s’agisse d’extraits de ses propres textes ou de celles dont il a trouvé l’inspiration chez Dylan, comme Anthem ou encore Everything Is Broken. Mais il refuse de faire du surplace et dit qu’à côté, de l’amour, il voit bien „dans les semences de notre régénération qui repoussent les mauvaises herbes de notre pourriture“ la solution à tous nos problèmes. On retrouve cette idée dans sa chanson Democracy. Peu importe alors comment on juge la qualité, des textes d’un grand interprète et compositeur, disons que ses chansons sont avant tout honnêtes. „Honnêtes parce que je ne recherche rien d’autre que l’honnêteté, Selon moi, l’honnêteté, est un appel à la tolérance“.
Et en tout, le nouvel album de Cohen – qui n’est pas aussi futuriste qu’il voudrait bien le faire croire – contient neuf chansons.
L’une d’entre elles, Always, est issue de la plume d’Irving Berlin; une autre, Be For Real. est une reprise de Frederick Knight. Ce qui est absolument inhabituel et peu caractéristique de Cohen, c’est que le dernier morceau est complètement instrumental: il s’agit de Tacoma Trailer, qui peut être considéré comme étant le point final des idées quelque peu désenchantées d’un artiste habitué, aux poèmes en chansons.
Pour cet homme âgé de 60 ans, il ne s’agit pas de savoir si l’amour prime sur la démocratie. Pour lui, le plus important,, c’est de survivre. Et quand on l’interroge sur les dangers que constitue le fascisme, lui le Juif toujours croyant, même s’il ne respecte pas tous les rites imposés par sa religion, il répond ne s’agit pas tant de la renaissance d’un nouvel Hitler un jour sur la terre, mais bien plus d’une prédisposition des esprits à une telle renaissance. En fait, c’est notre responsabilité individuelle face au passé, de l’humanité, qui devrait tous nous inciter à la tolérance“.
Cohen ne boit pas, sauf parfois en tournée. Il a renoncé, au tabac il y a deux ans. Et il y a déjà quelques années qu’il n’intéresse plus vraiment les femmes… Voilà sa manière de résumer sa vie privée. La description un peu refroidissante, de son calme intérieur actuel, éternel retour à l’humour macabre, s’entend à nouveau dans son nouvel album. Les textes en sont, comme toujours, très poétiques. Quant à la musique, elle semble plus détendue, plus enjouée et plus gaie qu’autrefois. L’album The Future peut ainsi être considéré comme l’autopsie de l’existence humaine en cette fin de siècle.
Retour vers le futur – Interview
Leonard Cohen, on s’en est longtemps moqué, dans le milieu des musiciens. Un homme dont la réputation venait du fait qu’il avait composé, une sorte d’internationale pour tous les candidats au suicide. Un homme qui a toujours su se défendre tout seul. En fait, sa défense était constituée par la force des mots, un pouvoir dont il ose à merveille. Dans les années 60 et 70, il était considéré, comme le poète et le chanteur de la génération du flower power.
Aujourd’hui, il est un des rares compositeurs qui n’ont nul besoin de faire appel à des médias comme MTV pour se faire reconnaître et écouter, comme cela se fait pour les artistes d’un tel niveau.
Qui d’autre que Cohen pourrait ainsi se permettre le luxe de ne sortir que deux albums au cours d’une décennie, cinq années s’étant déjà écoulées depuis la sortie du dernier, même s’il passe beaucoup de temps à peaufiner ses chansons? Il a mis à peu près deux ans à rassembler la matière nécessaire à l’album The Future.
L Cohen: Il n’est pas tout à fait exact de dire que j’ai eu besoin de deux ans. Il m’en a fallu beaucoup plus. Mais je préfère ne pas m’étendre sur ce sujet, sinon j’aurais un peu honte de moi-même.
D’où vient le fait que tu mettes tant de temps à composer des chansons?
L. Cohen: Eh bien, il ne s’agit pas de poser la question de la genèse d’une chanson en termes de durée, mais bien plus en termes de son droit à l’existence. Et c’est justement là que je ne m’autorise pas à me simplifier la tâche, bien que je puisse le faire, de temps en temps. D’ailleurs, ne pense pas que ça me plaise! Je souhaite vraiment travailler plus vite, comme Hank Williams par exemple, qui pouvait composer sur le siège arrière d’un taxi. Ou encore comme Dylan, qui m’a demandé – après le concert de Paris où il venait d’interpréter Hallelujah – combien de temps j’avais mis pour la composer. Je lui ai répondu qu’il m’a fallu près de deux ans pour la terminer vraiment. Quant à lui, il m’a avoué qu’il avait mis à peu près 15 mn pour I And 1.
Si l’on compare tes anciennes chansons à celles d’aujourd’hui, on se rend compte qu’avant ta voix était beaucoup plus claire, plus haute.
L. Cohen: Oui, c’est vrai. Ma voix est devenue plus grave. Une des raisons est certainement les cinquante mille cigarettes et plus dont j’ai avidement aspiré, la fumée. Il faut y ajouter les gallons de whisky ingurgités. Mais j’ai arrêté de fumer voici un an et demi et j’attends depuis que ma voix s’éclaircisse.
As-tu eu des difficultés pour arrêter de fumer, car tu étais un gros fumeur?
L. Cohen: Lorsque j’ai décidé de le faire, après la mort par cancer du poumon de quelques amis, j’ai arrêté, instantanément.
Es-tu également capable d’arrêter de boire?
L. Cohen: I only drink professional – il m’arrive de boire quand je suis en tournée. Mais je ne recours jamais à l’alcool pour résoudre des problèmes. Quand je ne suis pas en tournée, je ne bois jamais. Je bois donc uniquement pour des raisons ..sociales“ ou encore commerciales. Voilà d’ailleurs ce que je répète constamment à mes musiciens, ne buvez jamais pour oublier vos soucis.
Always, est une chanson d’Irving Berlin entendue pour la première fois en 1925. Pourquoi en faire une nouvelle version?
L. Cohen: C’était la chanson préférée de ma mère. De plus, cette chanson était très populaire, elle a marqué mon enfance chez nous, à la maison. Voilà la raison de cette reprise.
Cette version n’est elle pas plus sarcastique?
L. Cohen: Sans doute, mais je pense qu’il s’agit d’une amertume un peu différente de celle d’un sarcasme „habituel“. Il me paraît évident que l’on peut chanter les paroles I’ll be loving you always uniquement si – malgré la simplicité de la formulation – elles viennent du plus profond du coeur. Il s’agirait là bien sûr du sarcasme de nos propres paroles.
„Always“ dure un peu plus de huit minutes et est, par conséquent, un véritable tube de longue durée. Quand on est attentif à l’atmosphère que Cohen suggère, on se rend compte que cette chanson est bien plus que la chanson préférée de sa mère. Il semble qu’il y ait tout autre chose caché derrière.
L. Cohen: C’est juste. Si nous avions enregistré Always comme nous l’avions jouée en studio, elle aurait duré, 25 mn. Si je repense à cet enregistrement, je me souviens avant tout du cocktail baptisé „Aiguille rouge“ que j’avais préparé, pour mes musiciens. ça nous a tous mis dans un tel état et ça a créé une telle atmosphère qu’on ne pouvait plus s’arrêter de jouer. C’était [une atmosphère] tellement extraordinaire que lorsque nous en reparlons aujourd’hui avec mes musiciens, ils me disent encore qu’ils n’avaient jamais participé, à un enregistrement tel que, celui-ci.
Qu’y avait-il dans ce cocktail?
L. Cohen: Tequila, jus d’airelles et différents fruits.
Donne-moi du crack et du sexe anal, Prends l’unique arbre qui a survécu et essaie de combler le vide de ta culture, Rends-moi le Mur de Berlin, donne-moi Staline et Saint Paul, J’ai vu l’avenir, mon frère, il est sanglant.
Voilà l’un des choeurs de la chanson titre de l’album The Future qui a l’air relativement pessimiste, quand la plus grande partie de la musique de cet album est plus optimiste et positive.
L. Cohen: Dans l’album The Future, j’ai voulu faire ressortir davantage ce qui se cache derrière le pessimisme. En principe, il ne sert qu’à attendre le grain. Quant à moi, je me suis complètement fondu dans cette chanson. C’est la danse sur un volcan éteint que je décris ici. C’est la danse du futur que j’ai mise en musique. Ainsi, même si les paroles ont l’air d’être pessimistes, la musique va de pair avec cette danse. Le texte et la musique ne font qu’un, tout comme l’air qu’on respire est composé, d’hydrogène et d’oxygène.
Celui qui veut comprendre cet album n’a qu’à respirer.
Quelle a été la chanson composée le plus rapidement?
L. Cohen: Il n’y en a eu qu’une seule: il s’agit de Sisters Of Mercy, une des chansons de mon premier album. La musique, je l’ai eue rapidement en tête. A cette époque, j’avais été, pris dans une tempête de neige à Adminton, au Canada. J’avais rencontré, à cette occasion deux jeunes filles que j’ai conduites jusqu’à mon hôtel et qui y sont restées pour la nuit. Pendant ce temps, je regardais tomber la neige par la fenêtre, et le lendemain je leur ai joué cette chanson quand elles se sont réveillées. Je n’y ai jamais apporté, le moindre changement depuis. Voilà, d’après mes souvenirs, quelle est la chanson que j’ai composée le plus rapidement.
Dans la chanson Closing Time, il y a des allusions à l’amour charnel avec les femmes. La relation de Cohen avec les femmes aurait-elle changé ces dernières années?
L. Cohen: Rien n’a changé, mis à part le fait qu’elles ne s’intéressent plus guère à moi… – et il ajoute ironiquement – Mais de toute façon, pour un homme de mon âge, la sexualité, ne joue plus un grand rôle.
Vous semblez avoir renoncé cette fois-ci à toute coquetterie dans la description de l’amour. Dans la chanson Closing Time, vous décrivez le sentiment amoureux comme quelque chose qui balance entre amour et haine, comme de marcher sur une crête où d’un côté se trouverait l’amour et de l’autre la haine.
L. Cohen: Bon, je pense que le message de cette chanson n’est autre que celui-ci: tout ce qu’il y a eu jusqu’à présent doit être oublié, effacé, des mémoires et il faut repartir à zéro, peu importe ce qui s’est passé avant. Mais il ne faut pas penser que le remords ou les regrets sont au premier plan. Non, c’est bien plus le pardon qui me semble essentiel. Même si on aime toujours, tout est terminé. Cela rappelle étrangement une sorte de liberté, mais cela ressemble bien plus à la mort. Peu importe ce qu’elle a été, mais la révolution sexuelle, aujourd’hui, c’est fini.
Je suis d’avis que si l’on partage la vie de quelqu’un et qu’on est amoureux de cette personne, il faut néanmoins savoir que l’amour et la haine sont les deux composantes de cette vie commune. Il ne faut plus ni aimer ni haïr pour pouvoir pardonner. Je suis persuadé, que le mariage ou tout autre forme de contrat entraînent la mort de l’amour, constituent son mausolée. Le véritable amour n’existe que si l’on se sent libre de l’amour. Il ne faut pas se sentir emprisonné, restreint dans ses libertés.
Quant à Light As The Breeze, cette chanson parle d’amour et de haine; c’est une autopsie un peu farfelue d’une relation amoureuse, qui ne parvient à se régénérer que grâce à la force et à l’impact de l’acte sexuel. L’amour et la haine, la guerre qui oppose les sexes ont toujours été un de vos sujets favori. Toutes les descriptions que vous faites des relations amoureuses font nécessairement penser à un sadomasochisme vécu.
L. Cohen: Tout dépend qui est sadique et qui est masochiste. Ce genre de réflexions me plaît énormément.
Cette réponse est également très instructive. Le plus important étant de toujours chercher et relever les „diamants“ dans ces entretiens.
L. Cohen: Le travail dans une mine de diamants est extrêmement dur!
Mais il en vaut sans doute le coup.
L. Cohen: Dans Light As The Breeze, j’essaie non seulement de décrire le pouvoir immense que peut prendre la sexualité, mais également le mécanisme qui se retrouve dans les relations humaines entre les deux sexes. Un mécanisme qui nous concerne tous, parce que nous sommes tout simplement incapables de vivre uniquement grâce à une symbiose entre le coeur et la raison. Personnellement, j’ai découvert une certaine régularité dans ce mécanisme: chaque fois que l’on cherche quelque chose, on ne le trouve pas. Pendant cette recherche, on tombe sur quelque chose qu’on n’avait pas prévu, et cette autre chose devient motif à satisfaction. Ainsi par exemple ce matin, pendant que j’essayais vainement de retrouver ma chemise noire, j’ai retrouvé mes lunettes. Je me suis alors contenté de cela en me disant que je n’avais peut-être pas ma chemise noire pour la mettre, mais que grâce à mes lunettes, j’allais pouvoir voir ce qui se passait autour de moi. Si j’applique ce raisonnement à mon nouvel album The Future, je me rends compte que c’est d’après ce même mécanisme qu’il faut l’interpréter. Si tout ce qui nous entoure devient noir et sans espoir, il ne faut pas oublier que quelque part se trouve quand même toujours un minimum de raisons d’espérer.
Ainsi, si l’on pense avoir perdu l’amour, on apprend vite que c’est un sentiment irremplaçable. Malgré tout, quelque chose va arriver qui nous donnera beaucoup, même si l’on en attendait peu. Il ne faut tout simplement jamais s’arrêter de chercher.
Beaucoup de femmes se sont passionnées pour vous, de vraies exaltées. Vous est-il arrivé d’aimer deux femmes à la fois?
L. Cohen: S’agit-il d’une question purement technique?
Il s’agirait plutôt d’une question relativement indiscrète, car touchant à votre intimité.
L. Cohen: Vivre deux relations parallèles, cela mène inévitablement à la confusion, chose détestable que je ne peux imaginer, si ce n’est pour cette même raison.
Vous passez toujours pour être le grand solitaire en costume noir qui parle, dans vos chansons, de la solitude. Etes-vous vraiment solitaire?
L. Cohen: Oui, bien sûr! Je fais comme tout le monde, car si nous n’avions pas nos expériences personnelles, nous ne pourrions jamais imaginer comment les autres réagissent dans une situation analogue. Si nous nous sentons seuls, nous avons tendance à aller à la rencontre des autres. Pour peu que j’aie pu apprendre à vivre avec ma solitude, elle a dû devenir pour moi une sorte de compassion et donc aussi de moteur, une sorte de ressort pour toutes sortes d’activités dans le domaine social.
La solitude, les femmes, la guerre, la religion, la mélancolie et le cynisme sont au coeur de la thématique de votre travail. Peut-on affirmer que mélancolie et cynisme sont les deux composantes qui vous permettent de survivre?
L. Cohen: Je ne pense pas que le terme mélancolie soit approprié.
Et si l’on exclut les bons côtés de la mélancolie … ?
L. Cohen: … Sur lesquels nous ne reviendrons plus, si j’ai bien compris. Néanmoins je suis persuadé que mélancolie, ce n’est pas le terme approprié pour décrire ce qui nous intéresse. La mélancolie, c’est un état d’âme, et non une philosophie de survie. Je suis d’avis que dans mon nouvel album, il n’y a pas trace de mélancolie. D’ailleurs, les dimensions que prennent la mélancolie sont telles qu’on ne peut plus les décrire. En tout cas, elles dépassent de beaucoup le cadre d’une chanson ou d’un album. Quant au cynisme, il est beaucoup trop destructeur pour être d’une quelconque utilité dans la question de la survie.
Parler de Cohen incite toujours à poser un certain nombre de questions sur le passé. Le contenu de vos textes incite toujours à se poser des questions sur l’homme qui est derrière ce travail. Tout le monde vous pose des questions trop directes. Est-ce que cela ne vous dérange pas?
L. Cohen: Comme je l’ai déjà dit, je ne vis pas au passé. Et puis, les questions qui me sont posées ici ne ressemblent pas à celles posées par „tout le monde“. Tout dépend de la façon dont on se parle. Ici par exemple, je me rends compte qu’il y a une idée très précise sur la manière dont doit se dérouler l’entretien. J’ai moi aussi des attentes, qui semblent être comblées au cours de cette interview: il y a des questions et puis il y a mes réponses. Aussi longtemps que nos attentes se complètent, cela ne me dérange nullement.
Vous venez de fêter votre 60e anniversaire. Dylan, lui, a fêté ses 50 ans il y a deux ans. Quant à Joan Baez, Joni Mitchell, Neil Young, Van Morrison, etc., tous sont des compositeurs qui ont largement influencé l’histoire et l’évolution du rock et de la pop. Etes-vous d’avis de dire que l’influence de toutes ces personnes est restée la même, grâce à leur succès d’il y a près de vingt ans?
L. Cohen: Je ne sais pas si on peut le formuler ainsi. Disons que ça me fait plaisir d’entendre parler d’eux et de leur travail. La popularité de leurs noms est loin d’en être la seule raison. Ce sont des êtres humains comme nous, qui vieillissent et continuent à nous accompagner dans notre vie quotidienne, comme de vieux amis ou de vieilles connaissances, grâce à leur travail. On s’intéresse à eux, c’est ainsi qu’ils deviennent des familiers. J’aime entendre parler de Joni Mitchell, même s’il faut bien reconnaître qu’elle est sous-estimée. J’aime également bien Bob Dylan, malgré le fait qu’il se soit mis au repos total, au lieu de faire une petite pause. En principe, Dylan n’est plus obligé, d’écrire de nouvelles chansons. Mais je pense qu’il lui est impossible d’arrêter de transmettre les messages que nous connaissons si bien de lui. Tout ceci n’a bien sûr plus la même importance qu’il y a vingt ou trente ans, ça vient du fait que je ne souhaite pas les voir sortir de ma vie, tout comme beaucoup d’autres encore.
Democracy, voilà le titre d’une autre chanson de ce nouvel album qui semble entretenir des liens très forts avec les années soixante. Elle ressemble étrangement à une chanson qui parle „d’une guerre menée contre la guerre“. A l’époque, les Etats-Unis devaient faire face à d’énormes changements, tout comme cela semble être le cas aujourd’hui. Faut-il y appliquer le vers „Democracy is coming to the USA / La démocratie arrive aux Etats-Unis“, ou faut-il y voir une nouvelle croisade du „Field commander Cohen“, pour reprendre une expression de l’album de 1974, New Skin Of The Old Ceremony?
L. Cohen: Tout d’abord, je suis très fier qu’on se souvienne encore du titre que j’endossais à l’époque. Mais il faut rappeler que j’ai écrit cette chanson bien avant l’arrivée au pouvoir et l’élection de Clinton à la présidence des Etats-Unis. Je l’ai écrite immédiatement après la chute du Mur de Berlin, car j’avais compris que les hommes vivaient une nouvelle prise de conscience des choses. On parlait sans cesse du processus de démocratisation à l’Est. Moi, je me suis demandé par où allait arriver cette démocratisation. La démocratie ne surgit-elle pas de partout à la fois, et ne vantelle pas partout? Alors, pourquoi ne pas commencer par les Etats-Unis?
Ne peut-on pas prétendre que cinq ans auparavant, Cohen avait déjà et sous une forme analogue émis la même opinion dans sa chanson First We Take Manhattan, Then We Take Berlin?
L. Cohen: First We Take Manhattan, Then We Take Berlin, c’est une chanson écrite pour tous ceux qui ne sont pas représentés, ni par les politiciens ni par quelques leaders d’opinion tels les prêtres ou les scientifiques. C’est une exhortation pour que tous ces hommes prennent eux-mêmes le contrôle de leur vie, pour qu’ils parviennent à la maîtriser, même sans ces représentants. Et pour en revenir à mon combat, je tiens à souligner que je le mène toujours. Mes „forces armées“ n’arrêtent pas de se développer. Mes buts et mes intentions sont clairs là-dessus.
Quels sont ces buts?
L. Cohen: La victoire!
Suzanne a été un succès mondial en début de votre carrière. Elle est toujours restée aussi populaire. Rares sont ceux cependant qui savent qu’il ne parle pas de la mère de vos deux enfants, Adam et Lorca, qui s’appelle également Suzanne. Alors, de qui s’agit-il? N’est-ce pas un hymne à l’amour de cette femme, qui figure e. a. à votre côté sur l’album Death Of A Ladies Man, sorti en 1977? Qui est-elle, et quelles ont été les raisons d’écrire cette chanson?
L. Cohen: La réponse est très simple. Cette Suzanne est la femme d’un de mes amis. Lorsque j’ai composé, cette chanson, assis au bord d’une rivière à Montreal, j’ai cherché, un personnage dont je pourrai parler (et Cohen de citer quelques phrases de cette chanson, très riche en images). Après que cette femme soit passée me rendre visite au bord du fleuve en m’apportant du thé et des oranges, j’ai alors su de qui allait parler cette chanson.
Entretenez-vous toujours des rapports avec l’autre Suzanne représentée sur la couverture de l’album Death Of A Ladie’s Man?
L. Cohen: Mes enfants Adam (19 ans) et Lorca (17) continuent à vivre avec elle à Paris. Quant à moi, je n’entretiens pas plus de relations avec elle que tous les couples qui ont eu des enfants et qui se sont séparés depuis de nombreuses années.
Y a-t-il quelque chose que vous aimeriez pouvoir changer dans votre vie si vous en aviez la possibilité? Y aurait-il même quelque chose dont vous auriez honte?
L. Cohen: Le repentir n’a rien à y voir, mais je pense que de toute manière, ces choses ne doivent pas être abordées dans ce genre d’entretien. Il y aurait beaucoup trop à en dire pour les résumer par quelques mots on par quelques phrases.
Au cours de toute cette période d’absence, depuis I’m Your Man et parallèlement à la compilation de vos succès I’m Your Fan, il y a eu une autre pièce maîtresse sur le disque le plus récent de Was Not Was: vous chantez Elvis’Rolls Royce. Comment peut-on expliquer une telle association et peut-on encore espérer quelque chose de ce genre?
L. Cohen: J’ai rencontré Don Was au cours d’unir émission à la télé, américaine. Chacun connaissait le travail de l’autre et nous avions de l’estime mutuelle. Qui plus est, nous avons sympathisé immédiatement et décidé, de faire une chanson ensemble. Le travail en commun fonctionnait à merveille -j’avais d’ailleurs souhaité, que nous travaillions ensemble pour l’album The Future, et la seule chose qui allait nous empêcher de renouveler l’expérience de ce genre d’initiative, c’est le fait que Was travaille très vite. Moi par contre, je mets beaucoup plus de temps, de que l’on peut toujours constater.
A côté des romans, poèmes et chansons, vous avez également écrit le texte d’un opéra-rock (Night Magic, produit par Lewis Furey), le scénario pour un film vidéo (I’m A Hotel), film pour lequel vous avez obtenu la Rose d’Or au festival de Montreux. Vous avez même joué dans un épisode de Miami Vice. Vous tâtez aussi de l’aquarelle (water color portfolios), Que pensent vos enfants au sujet de leur père?
L. Cohen: Je crois qu’ils s’en préoccupent nettement moins que ceux qui veulent savoir ce qu’ils pensent de moi… Ma fille Lorca a un anneau à travers la langue et les cheveux teints en bleu, elle entretient certainement plus de rapports avec ma musique qu’Adam, qui s’intéresse avant tout à la Black-Dance et qui ne sait pas trop quoi faire de la génération des „grateful-deads“. Quant à Lorca, elle a plutôt une prédilection pour le folk et le rock. Elle préfère nettement The Future à l’album l’m Your Man.
Est-ce que vous croyez à une vie après la mort?
L. Cohen: Non, pas au sens classique du terme.
Alors dans quel sens?
L. Cohen: Bien sûr, la mort met un terme définitif à tous les problèmes de l’existence. Mais je me demande si après la mort. on peut vraiment vivre une existence exempte de tous problèmes. J’en doute beaucoup.
Texte de CHRISTOF GRAF, un article du livre: Leonard Cohen – Un Hommage – Editions Phi, Luxembourg, 1997.
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